Faire revivre notre patrimoine

Tirer des plaques de verre vieilles d’un siècle

Par Yves Letoret

1 – Un trésor plaques de verre

Yves, avant de commencer, il faut nous parler des origines du club Besançon Déclic Image  [ 1 ], le plus ancien club photo de Besançon, qui nous a transmis ces plaques sur lesquelles tu as travaillé.

Le club s’appelait à sa création « Société Photographique du Doubs », et on sait que cette société fut affiliée en 1897 sous le n° 7 à la Fédération Nationale des Sociétés Photographiques de France. Le club est très probablement plus ancien, et remonte à une époque où les rares amateurs de photo fabriquaient leurs plaques eux-mêmes. L’un de nos anciens présidents, M. Alphonse Petitjean, nous a raconté que jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale, certains anciens du club continuaient à faire de la prise de vue sur plaques. Dans les années 1950, le nombre de photographes amateurs était encore suffisamment restreint à Besançon pour que notre club puisse organiser avec succès des séances publiques pour montrer des photos. Aujourd’hui, qui n’est pas photographe ? Mais notre club Besançon Déclic Image en 2012 organise toujours des « séances publiques », par exemple autour du thème du diaporama sonorisé.
Au cours du XXe siècle, le club a changé de très nombreuses fois de locaux dans Besançon ; aujourd’hui nous sommes hébergés dans la Maison des Jeunes et de la Culture de Palente [2].

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 Figure 1
Les fondateurs de la Société Photographique du Doubs
ne plaisantaient pas avec la photo à la chambre …

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… mais n’avaient pas l’air de s’ennuyer lorsqu’ils se retrouvaient sur le terrain !

Des premières années du club, ne reste-t-il que ces précieuses plaques de verre ?Pratiquement, oui ; mais aussi quelques vieux livres techniques de l’époque et de la documentation de la Fédération Photographique de France … Aucune paire stéréo n’a été conservée, malgré l’engouement considérable pour ce type de photos au début du XXe siècle, engouement qui bien entendu était partagé dans le club [3].

 

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Figure 3
L’une des boîtes aux trésors

 

De ces images anciennes, le club possède ces diapositives noir et blanc sur plaque de verre, ce qui pose la question de la prise de vue originale : est-ce que la prise de vue fut réalisée directement en inversible, ou les diapos que nous avons sont-elles des contretypes positifs à partir de négatifs ? Je ne sais pas répondre à cette question : pour moi c’est une émulsion positive noir et blanc prise en sandwich entre 2 plaques de verre de protection (dimensions 100 mm X 83 mm). Ce pourrait être intéressant de faire faire l’autopsie d’une des plaques par un connaisseur en la matière [4].

2 – Comment tirer ces plaques anciennes sans y toucher … ou presque
Venons-en à ton travail de restitution. J’imagine que l’état de conservation de ces plaques était très variable.
Nous avons retrouvé 7 caissettes bois contenant chacune environ 80 plaques. Beaucoup sont assez abîmées, les autres très exploitables mais d’intérêts divers.N’as-tu pas pensé à essayer de les tirer à l’agrandisseur, par exemple sur Ilfochrome ?

Non, je n’ai pas pensé à tirer à l’agrandisseur, n’en ayant plus directement sous la main ; et puis cela risquait d’être long, coûteux par rapport à ce que j’avais l’intention de faire avec mes quelques « outils », plus pratiques et a priori plus fiables (je les décris ci-après). Auparavant j’avais tout de même demandé à quelques amis équipés de scanners divers de numériser quelques plaques. Le résultat n’était pas mauvais, mais on devait pouvoir faire mieux.
Donc on numérise, quelles furent les difficultés, les solutions testées et celle qui fut finalement retenue ?

Les tests « scanner » ayant été faits (voir ci-dessus) c’est la « re-photographie » qui m’a tentée.
Après bien des tâtonnements voici à quoi je suis parvenu. Je me suis procuré une tablette lumineuse KAISER Slimlite 2420 5”x4” 5000 kelvin.

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Une petite tablette lumineuse sert de source

J’ai fabriqué un cache cartonné dans lequel on peut glisser la plaque de verre de façon qu’il n’y ait pas de lumière parasite émanant autour de la plaque. Le tout est monté sur un support bois que j’accroche verticalement (voir les photos de cet agencement).
 

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Figure 5
Un support de plaques simple, fait maison

 

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Figure 6
Support, tablette et cache porte-plaque juste avant montage

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                                                                            Figure 7
Support, tablette, cache et plaque montés prêt à photographier

Le mode opératoire est le suivant :
-Sur petit trépied, je positionne mon D.700 + l’objectif 60 mm micro nikkor à une     distance mini d’environ               20 cm ;
-Réglage f/5 – 1/80 sec. priorité ouverture ;
-ISO 200 mesure pondérée centrale ;
-Dans le menu de Nikon “Picture Control” je pousse l’accentuation à +1 (et parfois -le contraste aussi, voire plus        pour celui-ci selon les images) afin d’améliorer la         netteté ;
-Miroir relevé, câble déclencheur ;
-Fichier qualité RAW.
-Ma pièce est quasi mise au noir quand je déclenche pour éviter tout reflet éventuel   sur le verre.

 

numerisation-plaques-Y-Letoret_h008                                                                                Figure 8                                                                                 L’ensemble en place avec l’appareil sur son petit trépied

Ensuite je reprends les images numérisées sous Capture NX2, les recadre (car il y a différents cadres collés sur les plaques) et j’élimine autant que faire se peut les poussières et les petites taches par post-traitement.
Pour le tirage papier j’ai demandé au labo de tirer sur « Fine Art ultra smooth », ce qui donne de bons résultats.
La simplicité du montage est indéniable ; comme tu t’en doutes un peu, sur galerie-photo, nous avons parmi nos lecteurs des amateurs de beau matériel que j’entends déjà protester que ton dispositif est trop simple et trop rustique ! L’un va te proposer un soufflet macro avec un compendium, l’autre va carrément te proposer de transformer une chambre monorail en banc macro pour faire le même travail, le troisième te dira qu’un micro-nikkor, c’est pas mal, mais qu’il te faudrait un ultra-micro-nikkor[ 5 ]  ! Mais ceci est une autre histoire …

Quelles sont tes conclusions, et quels sont tes projets après avoir mené à bien ces numérisations et l’exposition qui a suivi, « Il y a 100 ans : le Doubs » ?
Un grand moment d’excitation et d’émotion m’est venu lors de la découverte de ces coffrets de bois remplis de plaques. Je m’imaginais nos pères fondateurs en action, organisant leurs sorties, se passionnant, se perfectionnant dans leur « Art Multiple » tout de découverte, de technique, d’essais, de curiosité et de sensibilité mêlés … Une belle leçon, et un bel héritage dont il faut les remercier chaleureusement …

Quelles images allons-nous laisser à nos successeurs, et dans un siècle, que vont trouver nos émules, que vont-ils faire évoluer ???
En attendant, et plus concrètement, j’envisage de retravailler des négatifs 6×9 des années 50 qui dorment dans un placard et de leur redonner une autre vie … Et quel travail supplémentaire ?? Refaire un petit cache adapté au 6×9 … Le programme des prochaines longues soirées d’hiver prend forme.

(Propos recueillis par Emmanuel Bigler)

3 – Quelques images extraites de la collection 

numerisation-plaques-Y-Letoret_h009                                                               Figure 9
La place du marché de Besançon, que même deux siècles plus tard, bien des bisontins rechignent à           appeler « place de la Révolution » ; en arrière-plan, à droite, l’édifice où se trouve aujourd’hui le musée des Beaux-arts.

numerisation-plaques-Y-Letoret_h010                                                                          Figure 10                                                                                  La place de la Révolution (place du marché), pendant les inondations de 1896

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                                                                        Figure 11
Une statue de bronze de Jouffroy d’Abbans (un pionnier de la navigation motorisée à vapeur à la fin du XVIIIe siècle) était autrefois située à l’extrémité du pont Battant.
Elle fut détruite pendant la deuxième guerre mondiale [6]. Une nouvelle statue de bronze moderne, sans piédestal, la remplace depuis 1998. Le vieux « pont romain » dont on voit la balustrade sur cette image en arrière plan, le plus ancien et pendant longtemps le seul pont de la ville, avait l’inconvénient majeur de faire barrage en cas de crue et de créer des inondations systématiques dans la vieille ville ; en particulier sur la place du marché, comme le montre la photo précédente. Après avoir vaillamment résisté aux graves inondations de 1910, ce vénérable pont fut si gravement endommagé en 1940 et 1944, qu’il finit par céder définitivement la place à un pont moderne en 1953.

 

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